Situation politique

La Tunisie s’est à nouveau enfoncée dans la crise politique au printemps 2018, tenaillée par les dissensions au sein du gouvernement, une défiance grandissante d’une partie de Nidaa Tounès envers son représentant, le chef du gouvernement Youssef Chahed, la distance prise de plus en plus publiquement par le président de la république envers celui qu’il a lui-même désigné et par l’appel au changement de gouvernement lancé par l’UGTT dans un contexte de fortes tensions sociales, notamment à l’éducation nationale, et dans différents secteurs de production et de l’administration.

Cette crise politique qui accroit la défiance envers la classe politique, voire la transition démocratique,  perdure depuis un an.  Il  ne s’agit pas d’une crise aigüe, de rupture, mais d’une crise sourde, contenue, jouant sur l’état des résiliences, des résistances et des rapports de force en évolution constante entre les parties prenantes, Ennahdha se voyant jouer le rôle d’allié ou d’intercesseur entre membres et ex-membres de Nida Tounès…

Lancée fin janvier 2019,  la création de nouveau parti Tahya Tounès (« Vive la Tunisie ») de Y. Chahed procède de la décomposition progressive depuis fin 2015, et néanmoins inexorable, du parti «moderniste» Nidaa Tounès créé par Essebsi en 2012 en vue de fédérer une large opposition à Ennahdha. 

Dans un  contexte de recomposition politique, le jeu des alliances et de repositionnement se poursuivra dans les mois à venir en vue des échéanciers électoraux de fin d’année –législatives d’octobre et présidentielle à deux tours en novembre

Recompositions politiques dans les groupes parlementaires (GP) à l’Assemblée des représentants du peuple en ce début  2019:

  • GP d’Ennahdha: 68 députés (nombre stable et indéfectible sur la législature);
  • GP de Nidaa Tounès: 44 députés (chute à partir de 81 sièges en 2015 suite aux dissidences successives de Machrou Tounès en 2016 et de la formation de la Coalition nationale formée par le chef du gvt en 2018), mais avec ralliement erratique de l’ex partenaire de la coalition gouvernementale UPL (11 députés);
  • GP de la Coalition nationale: 44 députés (fondée principalement sur la dissidence de Nidaa Tounès en soutien à Y Chahed en 2018 et attraction d’autres partisans minoritaires);
  • GP du Front populaire: 15 députés; GP d’Al Machroû: 15 députés; GP du Bloc démocrate: 12 députés; GP de l’Allégeance à la Patrie: 10 députés; Non-inscrits: 7 députés.

Les dits «modernistes», schématiquement divisés en deux camps décrits plus haut (abstraction faite des partis de gauche qui se distancient  des orientations libérales économiques partagées), devront travailler au rassemblement des forces. L’hypothèse d’une division persistante n’est pas à écarter cependant, ce qui avantagerait les positions d’Ennahdha en vue des élections.

Elections et risques de désaffection accrue pour la démocratie tunisienne   

Le fort taux d’abstention de 66% des inscrits aux élections municipales de mai 2018 constitue un fort indicateur de la désaffection de l’électorat. Cette nette désaffection est portée de manière marquante par le jeune électorat et dans une moindre mesure par les femmes, malgré la loi paritaire favorable à leur élection. En réalité, seulement un électeur sur cinq s’est déplacé, un tiers de l’électorat n’étant pas inscrit dans les registres.

Résultats des élections municipales 2018 (en sièges et nombre de maires)

 

Répartition des sièges municipaux

Répartition des Maires (344/350) au 15/7

Listes   indépendantes

33%  

2373   sièges

35% 

119   sièges

Ennahda

30%  

2139   sièges

37% 

127   sièges

Nidaa   Tounes

22%  

1600   sièges

22% 

76     sièges

Autres   Partis

15%  

1099   sièges

6%  

22     sièges

 

Les avancées des droits humains en Tunisie en 2018

L’enjeu porte plus particulièrement sur les développements de la perspective de l’adoption d’une loi en 2019 sur l’égalité dans l’héritage, question clivante révélatrice des débats politiques et sociétaux majeurs dans le contexte électoral de l’année en cours. Le rapport propose d’ériger le principe d’égalité comme règle d’application générale et d’assimiler ainsi les règles successorales coraniques à une exception nécessitant une demande d’application expresse dans le chef de l’épouse ou de la fille bénéficiaire de l’héritage familial. Le simple fait de poser la question de l’inégalité successorale dans le débat public et d’en lever le tabou ces dernières années était déjà considéré comme une victoire des DH en Tunisie. Mais nombre d’OSC critiquent le projet en ce qu’il réduit la portée de l’égalité en multipliant les cas de dérogation.

Le rapport de force politique à l’approche des élections législatives et présidentielle de 2019 devrait pouvoir être le révélateur de cet enjeu majeur. Il s’agirait ainsi de créer une ligne de démarcation socio-politique et idéologique assez claire entre tenants de l’évolution et de l’ouverture de la société vers l’égalité et les conservateurs de plusieurs bords politiques.  Les prochaines semaines devraient être déterminantes pour amender au mieux le projet de loi en vue d’une vraie égalité consolidée. Si le projet de loi n’est pas adopté au début d’été, il serait probablement reporté après les élections, avec tous les risques que cela peut comporter.

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