Des biopolymères comme alternative durable

Récemment lauréate du Grand Prix Wallonie à l’Exportation, KitoZyme est une entreprise unique au monde, spécialisée dans la valorisation de la biomasse fongique pour en extraire des biopolymères et répondre durablement à des enjeux de santé, agricoles et environnementaux. L’AWEX a rencontré François Luthers, Chief Operating Officer, afin d’échanger sur les atouts qu’offre une stratégie de développement durable à l’international. Renforcement du positionnement de l’entreprise et réponses aux enjeux du futur, la transition est désormais incontournable. Rencontre.

AWEX : Bonjour François Luthers. Avant de parler développement durable, pourriez-vous nous dire qui est KitoZyme et ce que fait l’entreprise ?

François Luthers : KitoZyme, c'est d’abord l’histoire d’une spin off née il y a 20 ans dans les laboratoires de l’Université de Liège. Le projet initial consistait à développer une plateforme technologique, dédiée à l’extraction de molécules à haute valeur ajoutée, à partir de déchets de champignons. Du labo, nous nous sommes installés à Herstal, où nous sommes passé à l’échelle industrielle en 2009. Le projet a abouti au dépôt d’une famille de brevets sur des procédés et de nouvelles molécules. Pour quoi faire allez-vous me demander ? Nous proposons des ingrédients plus verts et plus sains pour des applications dans les domaines de la santé, de l’œnologie et de la cosmétique. Tous nos produits sont en fait des alternatives végétales à des dérivés pétrochimiques ou des produits issus d’animaux. En parallèle à notre production, nous continuons à faire de la Recherche & Développement dans le domaine de l’agriculture durable, selon nous, un des enjeux majeurs de ces prochaines décennies.

AWEX : Pour les néophytes des polymères comme nous, pourriez-vous nous donner un exemple concret d’application ?

FL : Bien sûr. Par exemple, pour le vin, nous intervenons dans le processus de vinification avec nos molécules qui parviennent à évacuer ou éliminer les bactéries et des levures indésirables dans le processus de maturation des raisins. In fine, elles permettent à l’exploitant de réduire les risques de perte d’une partie de ses récoltes.

AWEX : Vous mentionnez les producteurs de vin. Du coup j’imagine que vous exportez chez nos voisins ?

FL : Oui tout à fait. L’export représente d’ailleurs 97% de nos ventes. Chaque année nous nous ouvrons à de nouveaux marchés et travaillons actuellement avec près de 45 pays différents. Ceci dit, chaque nouveau marché constitue un enjeu de taille car il y a toujours un important travail réglementaire à réaliser pour s'implémenter à l'étranger, particulièrement dans notre domaine d’innovation. Il nous a fallu plus de 13 ans de préparation avant de pouvoir réaliser nos premières ventes significatives.

AWEX : Pourquoi de tels délais ?

FL : Le challenge dans notre secteur, c’est qu’en mettant régulièrement de nouvelles molécules sur le marché, il faut à chaque fois les faire approuver par les différentes autorités sanitaires et scientifiques et ça prend du temps. Chaque pays a sa propre approche par rapport à nos produits, ont différentes pratiques. Même à l'intérieur du marché européen, c’est le cas. Par exemple en agriculture, les règlementations sont différentes en Allemagne, en Italie ou en Belgique.

Dans les laboratoires de l'entreprise KitoZyme

AWEX : Vous avez mentionné l’agriculture durable. Quelle est justement votre position par rapport au développement durable ? Un enjeu stratégique pour KitoZyme ?

FL : Bien entendu. Le développement durable fait même partie intégrante de notre ADN. Nous poursuivons notre stratégie selon deux axes. Le premier est inhérent à la spécificité de nos produits, pensés pour offrir aux générations futures des technologies et solutions qui permettent de répondre à des enjeux actuels, sans compromettre le futur. Nous estimons que notre mission est de proposer des alternatives durables à la pétrochimie (plastiques, silicones) ou aux produits d’origine animale (gélatines ou produits bannis par les législations ou la pression des consommateurs) grâce aux biopolymères. En cosmétique ou dans les produits de lessive, nous avons recours à certains biopolymères issus des champignons pour encapsuler des fragrances, à la place des microplastiques qui polluent nos océans ; en agriculture en substitution de certains fongicides ; ou encore en viniculture pour remplacer les sulfites ou des produits de la chimie de synthèse.

AWEX : Et le deuxième axe ?

FL : Notre deuxième axe, c’est le rôle que doit assumer par KitoZyme vis-à-vis de la société dans son ensemble. Par exemple, nous nous inscrivons pleinement dans l'économie circulaire. Nous achetons des coproduits (déchets) que nous valorisons et traitons pour développer de nouveaux produits à haute valeur ajoutée. Ceux-ci se substituent en plus aux produits nocifs (1er axe). Nous faisons cela depuis le début de notre aventure, et nous sommes même satisfaits de voir que la Wallonie souhaite pousser davantage l’économie circulaire à l’échelle de toute la région

Mais nous ne pouvons pas nous arrêter là. Nous générons aussi des déchets, principalement organiques, et les valorisons en produisant du biogaz 100% wallon.  Bref, nous essayons d’aller le plus loin possible avec ce que nous avons à notre disposition. A côté de ces efforts d’économie circulaire, nous avons mis en place des mesures plus classiques comme la production d’énergie solaire, des améliorations dans nos process de consommation d'eau et d'énergie. Chaque année nous parvenons à diminuer notre consommation, un gain environnemental, énergétique et financier conséquent. Voilà donc ce deuxième axe dédié au rôle sociétal de KitoZyme.

AWEX : Et votre personnel, adhère-t-il à la démarche ?

FL : Dès sa création, le projet de KitoZyme a porté des valeurs environnementales et un souci de durabilité. Donc nos (futurs) collaborateurs sont en général déjà dans cet état d'esprit. Il y a une vraie mission d'entreprise qui dégage un sentiment positif de la part du personnel et des (jeunes) gens qui nous rejoignent. Selon moi, la prise en compte du développement durable est un MUST HAVE pour mobiliser et motiver les équipes autour d’un projet positif.

AWEX : Quels sont, selon vous, les principaux atouts d’opter pour une stratégie de développement durable ?

FL : Je dirai que pour l’entreprise il y a d’abord évidemment les économies d’échelle que celle-ci peut réaliser, notamment au niveau des gains financiers sur ses factures. Il y a aussi l’enjeu de l’image que renvoie l’entreprise. Ce n’est plus possible d’éviter complètement les questions de durabilité. Les entreprises qui sont encore dans le déni perdent en crédibilité, c’est certain. Enfin il y a l’enjeu de la motivation du personnel. Comme je l’ai déjà dit, c’est indispensable selon nous, d’autant plus que pour avoir une vraie politique de durabilité à 360°, il faut l’adhésion et l’implication des membres de l’entreprise. Sinon ce sera perçu, soit comme dés décisions déconnectées du management, soit comme des contraintes non justifiées. On doit montrer que nous ne faisons pas que du « green » chez nos clients, mais aussi chez nous, c'est important.

Enfin, avec l’engouement pour le développement durable de ces dernières années, proposer des solutions « vertes » aux industriels, eux-mêmes en recherche d’alternatives pour durabiliser leurs activités, ça donne un avantage concurrentiel certain. Des dizaines de milliers d’entreprises sont en train d’opérer leur transition également. Profitez-en et proposez-leur donc vos produits et solutions en conséquence (rires).

François Luthers, Chief Operations Officer at KitoZyme

La prise en compte du développement durable est un MUST HAVE pour mobiliser et motiver les équipes autour d’un projet positif. Nous avons une vraie mission d'entreprise qui dégage un sentiment positif de la part du personnel et des gens qui nous rejoignent.

AWEX : Comment voyez-vous l’évolution de la stratégie de KitoZyme ?

FL : Tout d’abord nous connaissons déjà une évolution très importante de nos activités depuis deux ans dans les domaines de la cosmétique, des lessives et de l’Agriculture. Si nous avons toujours suscité l’intérêt auprès du monde académique, cela fait deux ans que les industriels sont de plus en plus nombreux à nous solliciter. L’intérêt exponentiel pour les enjeux de développement durable n’y est évidemment pas pour rien, mais les évolutions réglementaires les poussent dans le dos aussi, en Europe comme aux États-Unis. Nous sommes donc très sollicités et ça nous donne beaucoup d'espoir.

AWEX : Vous n’avez pas peur de la concurrence ?

FL : La concurrence se met en place, principalement venue de Chine. Nous sentons qu’elle arrive doucement, mais c’est à nous de mettre en avant la qualité de nos produits pour nous démarquer. Nous nous intéressons pour le moment principalement à des solutions pour l’agriculture de demain. Nous gagnons en anticipant et en faisant des propositions durables à sur des marchés de plus en plus exigeants sur ce thème.

AWEX : Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui souhaitent entamer leur transition durable ?

FL : Si vous souhaitez entamer une transition relevant du développement durable complètement ou partiellement dans votre entreprise, n’oubliez pas d’envisager les 2 axes « produit » et « société ». Dites-vous « Qu'est-ce que je peux faire pour que mes clients et moi-même puissions diminuer notre impact environnemental grâces à mes solutions-produits ? » Il y a toujours quelque chose à faire, même pour des produits qui ne sont pas positionnés sur le développement durable. Par exemple vous pouvez toujours améliorer vos process (packaging, énergie…) pour faire des gains économiques. Si l’aspect économique est évidemment important, se donner une véritable mission, du sens à son activité, c’est primordial.

Bien entendu, opérez votre transition étape par étape. Ne vous fixez pas dès le début des objectifs trop ambitieux, mais atteignables rapidement et facilement, avec l’aide de partenaires et d’autres acteurs comme les entreprises, les pouvoirs publics...

AWEX : Je terminerai par une note «AWEX », vous avez récemment été lauréat du Grand Prix Wallonie à l’Exportation en décembre 2020. Que représente ce prix pour vous ?

FL : Ce trophée, c'est une belle reconnaissance pour la société,et un boost dont on a bien besoin dans un environnement qui est tout de même assez compliqué cette année. Lorsque nous irons voir nos clients, nous pourrons en faire état et bien sûr, ça donnera encore plus de crédibilité.

Illustrations © KitoZyme

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